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Décryptages
24.6.25

Les îles énergétiques : terres d’avenir ?

Marc Germanangue

Les îles énergétiques : terres d’avenir ?

Une île énergétique est une plateforme artificielle posée sur le fond marin ou flottante, conçue pour servir de hub énergétique. Elle permet :

  • la collecte de l'électricité produite par des parcs éoliens et autres EnR, acheminée par câbles sous-marins
  • le stockage (avec différentes technologies envisagées : batteries, air comprimé, pompage-turbinage...)
  • la transformation (combinaison courant alternatif HVAC et continu HVDC) ; Power-to-X (électrolyseurs pour hydrogène vert, e-carburants, chaleur transportable, désalinisation...)
  • la redistribution vers d'autres îles ou continents (interconnexions) via d’autres câbles sous-marins

Fig 1 : Principes de fonctionnement. Source : eepower 2024 

Une pluralité d’objectifs

Le concept d’île énergétique est directement lié au déploiement de parcs éoliens flottants et apparaît comme une solution permettant d’optimiser l'exploitation à grande échelle des ressources éoliennes offshore, particulièrement dans les zones maritimes où les profondeurs rendent difficile l'installation de fondations traditionnelles.

Ces hubs maritimes pourraient faciliter le raccordement des parcs éoliens et autres EnR offshore (PV flottant, énergie houlomotrice) aux réseaux électriques en mutualisant les infrastructures de transport sous-marin d'électricité et en remplaçant de multiples raccordements “point à point” par un maillage optimisé entre parcs éoliens et côtes continentales. 

Ils permettraient de sécuriser les approvisionnements énergétiques, de réduire la dépendance aux énergies fossiles, d’optimiser l'emprise spatiale, de réduire les coûts et de développer une filière industrielle (emplois qualifiés, modularité, réplicabilité, économies d'échelle).

D’impressionnants défis

Le coût d’une île est sans doute le principal défi. Et le contexte actuel (backlash sur l’éolien flottant, concurrence du solaire, réinvestissements dans le nucléaire…) le complique. La construction des “legos” de l’île, leur transport, assemblage et installation puis la mise en service et la maintenance représentent des d’investissements colossaux, tant en CAPEX qu’en OPEX, avec des risques (déjà avérés) de dérives budgétaires. Car les îles énergétiques sont un concentré de technologies en milieu marin (jusqu’aux conditions extrêmes) : matériaux durables et résistants à la corrosion marine, câbles sous-marins haute tension HVDC avec pertes minimales sur de longues distances, hubs électriques et smart grids (routage automatisé des flux d'électricité entre pays selon besoins et prix), systèmes avancés de prévision météorologique, gestion de production énergétique intermittente, utilisation de drones (aériens et sous-marins), de capteurs avancés et de jumeaux numériques pour l’inspection et la maintenance… L’implantation d’une île suppose aussi des innovations dans les mécanismes de financement et la répartition des coûts et bénéfices.

Au-delà des difficultés techniques d’intégration au réseau, la création d’une île impose des procédures longues et complexes d'autorisation et de permis, souvent sous plusieurs juridictions. Nouveauté géopolitique, les îles énergétiques impliquent de composer avec un droit maritime international inadapté et des enjeux de souveraineté en mer (application complexe de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer avec des interprétations variables pour les Zones Économiques Exclusives, harmonisation de plans maritimes nationaux, etc.). Le succès dépend largement de la capacité des États à créer un cadre de coopération stable et efficace.

Les défis environnementaux (biodiversité, écosystèmes marins, routes migratoires...), d’acceptabilité sociétale (riverains, autres usages de la mer - pêche, transport, tourisme...) et de sécurité (des personnels et de défense d'infrastructures stratégiques ne sont pas moindres.

Princesse Elisabeth, un projet pionnier

Fig 2 : L’île Princesse Elizabeth et son réseau haute tension onshore et offshore. Source : Rapport annuel d’Elia 2025.

L'île Princesse Elisabeth, en mer du Nord à 45 km des côtes belges, sera la première île énergétique mondiale.

D'une superficie de 6 hectares, son enceinte extérieure comprend 23 caissons en béton (58 m × 28 m × 32 m et 22 000 tonnes chacun). Les premiers ont été acheminés sur site au printemps 2025. Cette enceinte, reposant sur le fond marin (27 m de profondeur), sera remplie de 2,3 millions de m³ de sable extrait sur place. La construction, confiée par Elia (gestionnaire du réseau électrique belge) au consortium DEME-Jan De Nul, s'accompagne de mesures de protection de la nature et de la biodiversité (‘’nature inclusive design’’).

L'île devrait être achevée fin 2026, l'infrastructure électrique installée dès 2027. Elle rassemblera les câbles des parcs éoliens de la zone Princesse Elisabeth (3,5 GW total) et servira de hub pour de futures interconnexions « hybrides » entre Belgique, Danemark et Royaume-Uni.

L’évolution du budget global (de 3,6 Md€ en 2023 à plus de 7 Md€ au printemps 2025) a menacé le projet pourtant soutenu par la BEI et RePowerEU. Début juin 2025 le gouvernement fédéral belge a limité la possible dérive des coûts en  suspendant la connexion en courant continu de l’île. Des alternatives sont étudiées pour une seconde interconnexion avec le Royaume-Uni.

Plusieurs autres projets sont en développement (mise en service 2027-2035) :

Crédit photo : Elia Group 2025

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