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8.7.25

Les grands fonds marins, nouvel eldorado minier ?

Lucie Zhang

Les grands fonds marins, nouvel eldorado minier ?

En avril 2025, Donald Trump signait un décret autorisant l’exploitation minière en eaux profondes (deep sea mining) et suscitant l’indignation internationale autour d’une pratique au cadre réglementaire flou et aux impacts environnementaux incertains. 

Le deep sea mining consiste à extraire des gisements minéraux des profondeurs de l’océan. Les ressources minérales ciblées sont stratégiques et nécessaires pour la transition énergétique : cobalt, cuivre, nickel et manganèse. Ces métaux sont contenus dans des sulfures polymétalliques (sur des cheminées hydrothermales) et des encroûtements cobaltifères (sur des monts sous-marins), mais surtout dans des nodules polymétalliques, des galets formés par précipitation de ces métaux autour d’un noyau. Ils constituent l’intérêt principal du deep sea mining aujourd’hui. 

Les nodules polymétalliques se trouvent typiquement à la surface du sol des plaines abyssales, entre 4 000 et 6 000 m de profondeur. Ils sont principalement situés sur le fond océanique des eaux internationales, au-delà des Zones Économiques Exclusives (ZEE) et des juridictions nationales. Une zone d'intérêt pour l’exploitation minière est la Zone de Clarion-Clipperton (CCZ) dans l'océan Pacifique, dans laquelle des tests d’extraction avaient déjà été réalisés dès 1979

Fig. 1 : Répartition des ressources minérales dans les fonds marins

Source : https://www.wri.org/insights/deep-sea-mining-explained 

Les ressources minérales des eaux profondes permettraient de couvrir les besoins pour les technologies de la transition énergétique. D’après l’AIE, la production prévue de cuivre et de lithium d’ici 2035 risque d’être jusqu’à 40 % inférieure à la demande. Environ 21 Gt (sèches) de nodules polymétalliques se trouveraient dans la CCZ, et il y a beaucoup plus de ressources en manganèse, cobalt et nickel dans les eaux profondes que sur terre. Les nodules polymétalliques contiennent environ 30 % de manganèse, 1,4 % de nickel, 1,14 % de cuivre et 0,2 % de cobalt ; ainsi, rien que dans la zone CCZ, on peut espérer récupérer environ 2,4 Gt de cuivre, ce qui suffirait largement à couvrir la demande estimée jusqu’en 2040. Néanmoins, la rentabilité économique et la pertinence du deep sea mining restent discutées : l’environnement de la haute mer engendre des défis techniques et coûteux, et les technologies de batterie évoluent rapidement, notamment grâce à une amélioration du recyclage des batteries et à l’émergence de technologies n’incluant ni cobalt ni nickel. Les CAPEX et OPEX d’une telle entreprise se chiffreraient à plusieurs milliards de dollars.

Les gisements minéraux doivent en effet être extraits puis transportés vers la surface pour être traités. L’extraction se fait en plusieurs étapes

  • Des véhicules miniers retirent les gisements minéraux de la surface du fond marin, ainsi que les couches supérieures de sédiments, par aspiration ou bras robotiques. 
  • Les matériaux collectés sont remontés par pipeline vers un navire de surface. 
  • À bord du navire, les nodules sont triés, lavés et stockés. Les résidus ou sédiments excédentaires sont rejetés. 
  • Les nodules sont transbordés sur un navire de transport et acheminés vers les raffineries pour en extraire les métaux.

La collecte des nodules polymétalliques et les systèmes de levage par pipeline sont des technologies matures, mais l’exploitation des sulfures polymétalliques et des croûtes cobaltifères nécessite des techniques de fragmentation et de forage de roches dures qui sont moins avancées.

Fig. 2 : Principe d’extraction des ressources minérales 

Source : https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S2950154724000060#sec0040 

Dans les eaux internationales, c’est l’Autorité Internationale des Fonds Marins (AIFM) qui est chargée de gérer les activités liées aux ressources minérales et d’assurer la protection du milieu marin. L’AIFM octroie les contrats d’exploration et d’exploitation aux Etats parties (ou à des organismes privés sponsorisés par un Etat partie) à la Convention des Nations Unies sur le Droit de la Mer (CNUDM). A ce jour, aucun contrat d’exploitation n’a été délivré par manque de cadre réglementaire finalisé.

Les Etats-Unis, n’ayant pas ratifié la CNUDM, ne sont pas légalement tenus de passer par l’AIFM pour obtenir un contrat d’exploitation. Ainsi, si l’exploitation minière des fonds marins à des fins commerciales n’existe pas encore aujourd’hui, la situation pourrait changer suite à la signature du décret de Trump. The Metals Company, première entreprise de deep sea mining, a annoncé avoir déposé une demande d’exploitation commerciale dans la zone de Clipperton auprès du NOAA

Quelques pays envisagent quant à eux l’exploitation minière dans leur ZEE. La  Norvège a finalement suspendu l’octroi de permis d’extraction pour 2024 et 2025 et permet uniquement l’exploration minière pour l’instant.

D’un point de vue environnemental, les mines terrestres provoquent de la déforestation, des émissions de GES, une pression hydrique et impactent les populations locales, ce que le deep sea mining pourrait éviter. Cependant, ses impacts environnementaux ne sont pas encore bien identifiés et étudiés. Cette activité pourrait grandement perturber les écosystèmes des fonds marins à travers la pollution sonore et lumineuse et les panaches sédimentaires, ainsi que limiter le potentiel de puits de carbone de l’océan. La pratique repose sur un cadre réglementaire incertain et soulève de nombreuses questions environnementales encore non résolues.

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